

Et si l’accès au tiers payant en pharmacie dépendait bientôt du type de médicament délivré ?
Depuis quelques mois, une idée prend forme du côté des syndicats de pharmaciens : conditionner le bénéfice du tiers payant à l’acceptation d’un médicament biosimilaire par le patient. Une proposition qui pourrait figurer dans le prochain Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS), et qui soulève déjà de nombreuses questions.
Mais de quoi parle-t-on exactement ? Quels bénéfices ce dispositif pourrait-il apporter ? Et quels obstacles reste-t-il à lever pour qu’il soit viable, équitable et accepté ? Tour d’horizon.
1- Biosimilaires : des médicaments proches, mais pas identiques aux génériques
Génériques : des copies exactes de molécules chimiques
Un médicament générique est une copie strictement identique d’un médicament original dit “princeps”, dont le brevet est tombé dans le domaine public. Il s’agit généralement de molécules chimiques simples, dont la structure est parfaitement reproductible. Même principe actif, même dosage, même forme pharmaceutique : les génériques répondent à des critères d’équivalence pharmaceutique très précis. C’est ce qui permet leur développement rapide et leur coût bien inférieur à celui des médicaments d’origine.
Biosimilaires : des médicaments biologiques complexes
Les biosimilaires, eux, n’appartiennent pas au même univers technologique. Ils sont élaborés à partir de cellules vivantes, dans un processus biotechnologique complexe, sensible à de nombreux paramètres (température, environnement cellulaire, méthodes de purification…).
De ce fait, un biosimilaire ne peut jamais être une copie exacte de son médicament de référence (appelé bioréférent), mais il doit en être hautement similaire :
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Même efficacité thérapeutique,
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Même profil de sécurité,
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Même qualité de fabrication.
Pour être autorisé, un biosimilaire fait l’objet de tests comparatifs poussés : études de bioéquivalence, essais cliniques, surveillance post-AMM. Ces exigences sont fixées par les agences réglementaires comme l’EMA (Agence européenne des médicaments) ou l’ANSM en France.
Des indications ciblées, des enjeux importants
Les biosimilaires concernent des médicaments à haute valeur thérapeutique, souvent utilisés dans le cadre de pathologies lourdes ou chroniques :
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Cancers (trastuzumab, bevacizumab…),
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Maladies inflammatoires chroniques (infliximab, adalimumab…),
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Diabète (insulines),
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Pathologies oculaires (ranibizumab), etc.
Leur développement est donc crucial pour contenir les dépenses de santé tout en assurant un accès équitable aux traitements innovants.
Mais pourquoi leur usage reste-t-il limité en ville ?
Malgré ces garanties, l’adoption des biosimilaires en pharmacie de ville reste nettement inférieure à celle observée à l’hôpital. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce décalage :
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Manque d’information ou de confiance des patients : la méconnaissance de la nature des biosimilaires peut entraîner une réticence au changement, surtout dans le cas de traitements chroniques déjà bien tolérés.
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Pratiques de prescription encore prudentes : certains prescripteurs peuvent hésiter à recommander la substitution, notamment lorsqu’il s’agit de pathologies complexes ou stables.
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Contraintes logistiques : la présentation du médicament peut changer (ex. flacon vs seringue préremplie), ce qui complique parfois la substitution.
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Enjeux économiques en officine : les conditions d’achat actuelles ne sont pas toujours favorables aux pharmaciens, notamment en l’absence d’accès direct au prix fabricant via les grossistes.
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Cadre réglementaire plus récent et évolutif : contrairement aux génériques, la substitution par le pharmacien d’un médicament biologique par un biosimilaire n’est autorisée que depuis peu et sous conditions.
2- Une adoption encore inégale

À l’hôpital, les biosimilaires ont trouvé leur place : près de 90 % des prescriptions de médicaments biologiques sont aujourd’hui substituées.
En pharmacie de ville, ce taux plafonne à environ 30 %. Un écart important, qui peut interroger. Faut-il y voir un manque d’information, une réticence des patients, des freins économiques ou logistiques ? Ou un peu de tout cela à la fois ?
Face à cette situation, les syndicats de pharmaciens FSPF et USPO notamment proposent un levier incitatif : réserver le tiers payant aux assurés acceptant la substitution par un biosimilaire. Une logique inspirée du dispositif « tiers payant contre générique » mis en place en 2012.
3- Un levier incitatif ou une contrainte déguisée ?
L’idée, en apparence simple, soulève de nombreuses interrogations.
Si le patient accepte un biosimilaire, il bénéficie du tiers payant.
S’il préfère le médicament biologique de référence, il devra avancer les frais, même s’il peut ensuite être remboursé. Le mécanisme repose sur une incitation financière, sans obligation formelle.
Mais comment interpréter cette mesure ? Est-ce une manière d’accompagner une évolution des pratiques ou un moyen de forcer une main sans l’avouer ? S’agit-il d’un outil de pédagogie par l’incitation ou d’une pression indirecte, notamment sur les publics les plus sensibles à la dispense d’avance de frais ?
D’un côté, certains y voient un dispositif de responsabilisation, comparable à celui qui avait été mis en place pour les génériques en 2012. Ce précédent avait permis, à l’époque, de dynamiser le recours aux médicaments moins coûteux tout en maintenant la liberté de choix.
De l’autre, des voix s’élèvent pour souligner les risques : incompréhension du patient, sentiment d’être pénalisé pour un choix thérapeutique pourtant légitime, voire rupture de confiance dans la relation soignant-soigné. Ce genre de mesure soulève aussi une question d’équité sociale : toutes les catégories de patients disposent-elles vraiment des mêmes moyens pour « choisir » librement ?
Quel rôle pour le pharmacien ?
Dans ce contexte, le pharmacien d’officine se retrouve en première ligne. Ce serait à lui d’expliquer la différence entre biosimilaire et bioréférent, de rassurer, d’accompagner, et d’éventuellement gérer des incompréhensions. Certains y voient une reconnaissance de son rôle de professionnel de santé, au-delà de la simple dispensation.
Mais ce rôle accru suppose aussi du temps, des outils, une formation adaptée, et des conditions de travail propices au dialogue. Est-ce réaliste dans le cadre d’une officine déjà sous pression ? Quelles garanties seraient nécessaires pour éviter une surcharge ou des tensions au comptoir ?
4- Et maintenant ?
Le projet n’en est qu’à ses prémices. Les discussions avec les pouvoirs publics restent à engager. Le dispositif pourrait être expérimenté, modifié, encadré, voire abandonné selon les retours des professionnels et des patients.
En attendant, une chose est sûre : le sujet mérite d’être débattu, en toute transparence, avec tous les acteurs concernés.
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Les patients seront-ils bien informés ?
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Les pharmaciens auront-ils les moyens de bien jouer leur rôle ?
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Le système de santé y gagnera-t-il réellement en efficacité sans creuser les inégalités ?
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Faut-il aller vite… ou prendre le temps de construire un modèle équilibré ?